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Le « Tigre » de Sétif

samedi 24 décembre 2005, par Fares Rouibah


Pour de nombreux étudiants du campus universitaire de l’antique Sitifis portant la « marque » Ferhat Abbas, le nom de cet illustre militant de la cause algérienne, intellectuel et défenseur acharné de l’instruction et du savoir, est « probablement » celui d’un de nos valeureux chahids.
D’autres l’identifient à un ancien moudjahid ou politicien. Pour la majorité, n’étant pas au fait du parcours, des œuvres et des combats des historiques, Ferhat Abbas n’est ni plus ni moins qu’un illustre... inconnu. Afin d’en savoir davantage sur l’itinéraire du « Tigre », comme l’aiment l’appeler les Sétifiens, on ne pouvait mieux choisir que Amar Guemmache (dit Saout laârab). Un des rares fidèles, encore en vie. Avec ses allures spécifiques aux hommes du pays profond et ses certitudes sur le sujet, restées intactes en dépit du poids de ses 80 ans, l’homme nous accueille chez lui à la cité Yahiaoui (Tandja, le plus grand quartier populaire de Sétif) comme savent le faire les humbles ayant été, des décennies durant, les compagnons du « Tigre ». Se doutant de l’objet de notre visite d’autant que le vingtième anniversaire du décès de Ferhat Abbas avançait à grandes enjambées, l’homme disparaît quelques instants puis revient avec une masse de photos et de documents-témoins. Avant de donner le coup de starter à cette mémoire d’éléphant, cet « illettré », ayant tel un grand archiviste ou historien sauvegardé les événements avec en sus une chronologie bien rangée, regrette qu’aucun lieu (maison et pharmacie) où a vécu le président du GPRA n’a fait l’objet d’un quelconque intérêt (rachat pour en faire un musée), comme cela se fait sous d’autres cieux. Cet anniversaire n’ayant fait l’objet d’aucune activité à Sétif qu’il chérissait tant contrarie quelque peu l’octogénaire qui entame son récit par un fait historique. « Un jour, de passage du côté du café Carbonnel, en homme bien élevé, Ferhat a voulu saluer René Meyer, Bronca (maire) et Quitolo. Ces derniers n’ont rien trouvé de mieux que de tendre les pieds. “Vous me rappelez mon chien, lorsque je lui tend ma main, il me donne sa patte”, rétorque avec un calme olympien Ferhat. » L’enfant de Chahna (village situé à 10 km au sud de Taher, wilaya de Jijel) s’est installé, précise notre interlocuteur, à Sétif, en 1933. C’est le docteur Maïza Bachir dit Saïh, son condisciple à l’université d’Alger, qui s’est chargé de l’achat de la pharmacie située non loin de Bab Biskra (porte de Biskra). « Ferhat était un homme affable et généreux à la fois et ne pardonnait, en dépit de sa modération, rien aux colons. En 1936, en essayant de saborder son meeting, Talabo, le maire de Ras El Oued, a été bien corrigé par Ferhat qui partageait les joies et les peines avec son peuple. Pour ces modestie, grandeur et bonté, les Sétifiens le vénéraient », nous a confié cheikh Amar qui voulait relater le parcours politique du « Tigre ». Il nous a en outre fait part de l’incident de 1952 à Madjana (actuellement dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj). « En apprenant qu’un commissaire diffusait des tracts dénigrant le mouvement nationaliste, Abbas s’est déplacé sur les lieux non pas pour dénoncer l’acte mais tout simplement pour frapper le policier en question. Sa bravoure que certains voudraient occulter, a stimulé les “indigènes” que nous étions. Ces prises de position sont pour beaucoup dans l’éveil nationaliste des Algériens qui voyaient en lui le zaïm. Qu’on le veuille ou non, Abbas en avait la carrure et la stature... » Cheikh Amar qui a beaucoup côtoyé le « Tigre » n’oublie pas la phrase lancée en 1952 à l’adresse de René Meyer : « Même en étant au fond de ma tombe, je continuerai à hanter vos esprits. » Le vieux qui demeure abbassiste ne s’empêche pas de parler de l’homme qui n’aimait pas trop la richesse matérielle : « Abbas insistait beaucoup sur l’instruction des enfants et le bien-être de ces concitoyens. Il était, malgré sa stature d’homme d’Etat, simple. Il partageait souvent avec nous nos repas faits kesra (galette sétifienne) et un peu de lben (petit-lait)... » Le vieux qui n’a rien oublié se souvient : « Ferhat est venu à Sétif pour la dernière fois en 1984. Il aimait tant cette ville et a voulu être enterré à Sidi El Khier. Pour une raison d’Etat certainement, son vœu n’a pas été exaucé », souligne le compagnon qui tenait à préciser qu’un certain 5 juillet 1962, un jeudi précisément, le « Tigre », de retour de l’exil tunisien, l’a fêté du côté de Aïn El Fouara, qui n’a pas pensé en décembre 2005 à honorer la mémoire d’un de ses illustres... fils.

el watan

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