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Béni-Yaâla : une belle région à découvrir

mercredi 3 décembre 2014, par Mihoubi Rachid


Béni-Yaâla ! Terre valeureuse à l’âme généreuse. Une région qui a, à travers le temps et les aléas de la vie, su garder son charme et sa pureté ancestrale.
Peut-être que – paradoxalement — la pauvreté en ressources naturelles, mais non en hommes, l’a préservée des souillures et des méfaits du progrès dit matériel et du développement incontrôlable mais ô combien néfaste pour ses us et coutumes séculaires.

Entre les Bibans et les Babors

La région des Béni-Yaâla, montagneuse et à l’écart des grandes voies de communication, est une contrée qui a toujours vécu dans un pénible enclavement mais a su s’en sortir ces dernières années grâce aux efforts déployés dans certains secteurs.
Située à cheval entre les chaînes des Babors et des Bibans, elle domine les Hautes-Plaines de Bordj Bou Arréridj (au sud-ouest) et de Sétif (nord-est). D’ailleurs, la première ville distante de 48 km est visible – de jour comme de nuit — à partir du sommet appelé « Djamaâ Bellout » qui culmine à près de 1 550 m d’altitude. Sétif, distante de 80 km, est plus ou moins visible par temps clair durant la journée mais encore davantage durant la nuit.
Au nord, Béni-Yaâla est limitée par les régions d’El-Maïn dépendante de la wilaya de Bord Bou-Arréridj, et de Béni Ourtilane dans la wilaya de Béjaïa. Par route, sinueuse et pittoresque, l’ancienne capitale des Hammadites ne se trouve qu’à environ 170 km, mais à vol d’oiseau c’est à peine la moitié de cette distance. D’ailleurs, les historiens comme le grand savant Ibn Khaldoun (1270-1332), et plus récemment encore, Mouloud Gaïd (1916-2000 et natif du village de Timengache), affirment que les fondateurs de l’émirat de la Qalâa des Béni Hammad (aux environs de M’sila) étaient passés par la région des Béni Yalâa pour se rendre vers le rivage de l’ex-Saldae où ils ont reconstituèrent leur dynastie à l’abri des invasions destructrices des tribus nomades des Banou Hilal et des Banou Sélim au XIe siècle.

Au pays d’Ikhlidjène

Le petit bourg de Guenzet (ex-douar Ikhlidjène et qui veut dire « hameau ») est le chef-lieu de daïra et de commune de cette pittoresque région. Elle est rattachée administrativement à la wilaya de Sétif depuis le découpage administratif de 1984.
On estime sa population à 8 000 habitants pour une superficie de 147 km2. Mais le pays se vide, ses enfants le quittent pour aller, ailleurs, à la recherche de travail, pour poursuivre les études ou pour de meilleures perspectives. Trent-huit villages composent cette contrée ; certains se trouvent au bord de la route comme Tizi-Medjbar, Timengache, Thaourirth Yacoub, Guenzet. D’autres s’enfoncent dans les dénivellations ou se perchent sur les hauteurs.
En contemplant ces montagnes escarpées et ces routes et sentiers sinueux, on ne peut qu’être frappé par le panorama fantastique, fait de montagnes et de villages au charme inouï. Une multitude de petits villages, qui se confondent avec la nature environnante, sont quelques fois nichés au détour d’un canyon ou juchés sur une colline, ou encore accrochés sur le flan abrupt d’une montagne retenue, dirait-on, uniquement par la volonté du Créateur le Tout-Puissant. Il y a d’innombrables sources et de fontaines servant à l’alimentation des habitants et à l’irrigation des vergers et des jardins. Presque dans chaque village, on trouve une ou plusieurs fontaines. Leurs eaux sont limpides et constituent un vrai régal comme boisson. Les rivières minuscules mais jamais à sec serpentent langoureusement – en été mais se transformant en méchants torrents, l’hiver venu — formant des méandres et sur les bords desquels une végétation luxuriante pousse à côté d’une faune variée et riche, surtout depuis que l’activité de chasse et de coupe a sensiblement diminué. L’air est extraordinairement sain et redonne force et vigueur à l’organisme et on s’en remplit les poumons à pleines bouffées. Même quand on est exténué de fatigue, il suffit de quelques petites heures de sommeil pour se sentir revigoré et régénéré, prêt à affronter les difficultés et le labeur quotidien.

Le départ de la Qalâa des Béni Hammad

La région des Ath Yaâla est d’expression berbérophone et tire son nom de leur ancêtre, Yaâla, dont un cimetière porte encore le nom entre le village de Taourirt et le chef-lieu de la commune.
Ce chef de fraction serait arrivé vers 1061 dans cette région avec les siens, fuyant sa Qalâa des Béni-Hammad (M’sila) du fait de l’insécurité qui y régnait à l’arrivée des Hilaliens.
Bien plus tard, les Turcs ottomans arrivèrent dans les montagnes des Béni-Yaâla et construisirent un poste militaire sur les hauteurs dominant tout le pays. Il reste, aujourd’hui, encore quelques vestiges mais assez vagues de cette enceinte militaire qu’on appelle localement « akhrib ».

Foyer de résistance au colonialisme et creuset du nationalisme

Après la chute du gouvernement ottoman et le débarquement du corps expéditionnaire français, en 1830, les troupes coloniales parvinrent, péniblement, jusqu’à la région des Béni-Yaâla probablement vers 1848-1850 après avoir franchi les Portes de fer du massif des Bibans. Mais elles furent obligées de se replier après la grande révolte populaire conduite par le bachagha Mohamed El-Mokrani (1871) pour revenir après la défaite de ce dernier et l’implacable répression qui s’abattit sur les insurgés. Quelques années plus tard, les premiers enfants des Ath Yaâla émigrèrent vers la France, surtout à la fin de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et ce phénomène migratoire se poursuivit jusqu’à l’indépendance de notre patrie.
Béni-Yalâa a été une place forte du mouvement national et un foyer des idées nationalistes semées par le Parti du peuple algérien (PPA), de l’Union démocratique du manifeste algérien, et de l’Association des ulémas algériens.

Dans le feu de la Révolution de Novembre 1954

Les Béni-Yaâla s’engagèrent résolument, dès le début de la Révolution du 1er Novembre 1954, dans la lutte armée et eurent leur part de martyrs. Plusieurs batailles ont eu pour théâtre cette noble terre, comme celles de Sidi M’Hand Ouyahia (1955), d’Adhrar n’Thilla (opération Dufour, 1956) et celle du grand ratissage en 1958 prolongement de l’opération « Jumelles ».
En 1959, le village d’Ighdem (à environ trois km de Guenzet) composé de 35 maisons, fut complètement détruit par l’armée coloniale et l’ensemble des habitants furent expulsés vers le chef-lieu où il y avait une importante caserne militaire (transformé à l’indépendance en collège) et un campement de harkis. Beaucoup de crimes ont été perpétrés par la soldatesque coloniale et ses sbires, mais les valeureux djounoud de l’Armée de libération nationale ont fait payer cher à l’ennemi le prix de ses crimes commis à l’encontre des civils pacifiques et désarmés.

Une économie simple mais aux ressources insuffisantes

La région des Béni-Yaâla pratique toujours une activité agricole rudimentaire basée, surtout, sur l’arboriculture. On cultive – tout au moins jusqu’à un passé récent — abondamment les figuiers, les pommiers, les pêchers, les pruniers, les citronniers, les cognassiers, les poiriers, et beaucoup d’oliviers. Il y a eu toujours un peu d’élevage ovin et caprin mais très peu de bovins la nature morphologique du pays ne s’y prêtant guère. Ainsi, Ath Yaâla est restée, encore aujourd’hui, l’une des plus pauvres contrées de toute la Kabylie ne survivant que grâce à l’apport des aides et des subsides de ses fils expatriés ailleurs, en Algérie ou outre-Méditerranée.

Les contraintes naturelles vaincues par l’amour du pays natal

En effet, le relief accidenté et la rudesse du climat (étés torrides, hivers pénibles et rigoureux) ont freiné sensiblement le développement local malgré tous les efforts consentis après l’indépendance de notre pays.
Ces contraintes de développement dues, surtout, au relief montagneux et escarpé de la région, impliquent assurément des surcoûts élevés et découragent toute tentative d’investissement significatif, surtout dans les opérations de terrassement, de génie civil, de réalisation et d’entretien des infrastructures de base (routes, adduction d’eau, lignes électriques et téléphoniques…), ainsi que des travaux de déblaiement des voies de communication en période hivernale, en particulier.
Cette situation a, ainsi, poussé et contraint tout le temps la population de cette région (résidente ou non) — pour sauver leurs villages et sauvegarder leur existence — à financer elle-même plusieurs projets urgents et vitaux d’utilité publique par le biais des associations et des comités de village, érigés en « djemâas » démocratiques, sans trop attendre les projets étatiques qui, eux, obéissent surtout aux règles budgétaires et aux contraintes administratives multiples.
Malgré cette dure situation, il existe une petite activité commerciale de détail, surtout le jour du marché hebdomadaire du mercredi à Guenzet.
Mais le pays des Ath Yaâla – en dépit d’un léger relèvement du niveau de vie — a encore besoin de projets spécifiques, adaptés aux conditions géographiques et socio-économiques locales. Une aide spéciale des pouvoirs publics sera la bienvenue, car cette terre enclavée a été longtemps négligée et marginalisée.

Des atouts touristiques indéniables mais inexploités

Pour le tourisme, ce dernier est principalement soutenu par les natifs de la région partis ailleurs, vers d’autres wilayas, ou en Europe (France, surtout) et qui y reviennent chaque année pour s’y ressourcer.
Les paysages des Ath Yaâla, en effet, sont d’une beauté féerique et gardent encore leur caractère sauvage et pur : couvert végétal dense constitué de pins d’Alep, de chaînes verts, de genévriers, de thuyas, de garrigues et de maquis qui constituent un sous-bois extrêmement dense. La faune y est aussi abondante : chacal, renard, sanglier, perdrix, pigeon, corbeau, caille et toutes sortes d’oiseaux… Mais cette richesse florale et animale doit être développée ou tout au moins protégée des prédateurs et de la négligence (et de la bêtise) humaine. C’est un devoir citoyen et un impératif écologique absolument nécessaire dont il faudrait être conscient pour ne pas avoir à le regretter plus tard.
Il existe une station thermale appelée L’Hammam Ouadda (« la station d’en bas ») à cinq km de Guenzet, aux eaux chaudes de qualité exceptionnelle qui fait le bonheur des visiteurs et des curistes.

Manifestations culturelles locales et festivals culinaires

Béni-Yaâla est une région berbérophone la plus au sud de la Kabylie orientale et sa population est fortement attachée à l’Islam. Elle est renommée par ses éminentes zaouïas, où l’on enseignait le noble Coran et les disciplines relatives à la langue arabe. Citons la prestigieuse zaouïa de Djamaâ Oukari, nichée au sommet d’une montagne verdoyante et à la beauté à vous couper le souffle, et celle de Sidi Ali Ouakhelifa, de Sidi El-Djoudi.
Chaque village de ce pays pittoresque possède une ou deux mosquées qui sont aussi des centres d’enseignement du noble Coran – tout au moins, il n’y a pas si longtemps – et d’apprentissage de quelques matières d’enseignement. Elles ont formé, surtout par le passé, des centaines de talebs qui ont appris le Coran et le récitaient d’une façon tout à fait remarquable.
Sur un autre plan, célèbre en matière d’art culinaire traditionnel, la région des Béni-Yaâla organise, aujourd’hui, deux festivals annuels concernant le meilleur plat traditionnel de la région. Une vive rivalité, mais saine et conviviale, oppose les villages et les hameaux locaux. L’enthousiasme, la joie et la bonne humeur accompagnent constamment les préparatifs et les péripéties de ces rencontres originales et qu’il faudrait perpétuer car elles offrent l’occasion de se rencontrer, de se revoir et… de faire connaître cette magnifique contrée.

Un grand attachement au pays natal

Durant les vacances, toute la région revit et se transforme, malgré l’absence de moyens, en lieu de villégiature privilégié de ses enfants partis ailleurs. Cela a toujours existé mais surtout durant « lekhrif »(période de récolte des fruits, les figues surtout) pour profiter des fruits et des légumes locaux, de l’eau des sources fraîches qui rappellent le terroir et la jeunesse marquée par le travail, le dur labeur, la discipline et le respect.
C’est cela, le beau pays des Béni-Yaâla. Qu’Allah le Très Haut te garde et bénisse tes enfants !

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