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8 mai 1945, de Berlin à Sétif

Notre mémoire, tragiquement hémiplégique, préfère garder le souvenir-écran.

samedi 30 avril 2005, par La rédaction


Tout le monde connaît l’histoire. Keitel, qui signe la reddition du Reich, voit de Lattre autour de la table avec les alliés : il s’exclame « non, pas vous », les écrasés de 40. Mais il ne savait pas de quelle manière la France rendit à cette victoire sur l’inhumain, un « hommage » bien dans la ligne de l’inhumain.

En riposte à un début de révolte algérienne, la France, les 8, 9 et 10 mai 1945, massacra entre 10 000 et 40 000 Algériens à Sétif et Guelma. Cette coexistence de date n’est jamais révélée, jamais mémorisée. A ce moment-là, de Gaulle est au pouvoir, le gouvernement est tripartite. Charles Tillon, communiste héros de la Résistance, nommé ministre de l’Air, va couvrir les « bavures » énormes de l’état-major et les bombardements de populations civiles.

Cette tâche atroce, à cette date atroce, est un point de vérité terrible sur notre histoire, toujours occulté. Lorsque ces faits sont mémorisés, on prend bien soin de ne pas faire le parallèle entre ce qui se passe à Berlin et à Sétif. Ces faits effrayants sont juste entrouverts dans la bonne conscience de gauche et la mauvaise conscience de droite selon son camp. Avec à gauche une spécialité : aveuglement sur les méthodes des peuples qui se libèrent, méthodes souvent cruelles que l’anticolonialiste se cache à lui-même, le statut de victime lui suffit. Tandis qu’à droite ces mêmes méthodes sont exacerbées pour justifier ses propres manquements. Ce sont des batailles pour des mémoires hémiplégiques. Pour la gauche, les tortures infligées aux colonisés. Pour la droite, la cruauté de ceux qui se libèrent.

Il n’est pas bien vu de regarder les choses en face. Mais, à force d’aveuglement, d’autoaveuglement, de faits occultés, on se retrouve avec un pays qui ne regarde rien en face. La mémoire joue ici comme un réflexe identitaire déclaré au mépris des faits. Que le programme de la Résistance soit taché du sang de Sétif n’enlève rien à sa pertinence, rappeler Sétif c’est simplement mieux comprendre la suite. A contrario, l’occulter brouille la lecture de toute l’histoire de la décolonisation. A la place de la mémoire lucide, on a des bribes partisanes. Ces hypocrisies, ces ignominies, ne sont pas enseignées, ne sont pas regardées ni dévoilées, même si, les jours de célébration, c’est parfois murmuré. Or dire, proclamer, établir, restaurer la vérité suffit. Pas besoin forcément de la repentance, par contre dire, tout dire ! Il faut saluer le geste de l’ambassadeur de France en Algérie Hubert Colin de Verdière qui, lors d’un déplacement à Sétif, le 27 février dernier, a reconnu les « massacres » du 8 mai 1945, en parlant de « tragédie inexcusable ».

En préférant le souvenir-écran, on écrit l’avenir avec des oreilles d’âne. Une des raisons qui font de ce pays un pays qui ne fantasme pas d’avenir autre que l’avenir libéral à quelques corrections près, c’est son amnésie. Si l’on veut bâtir du projet, il faut de la mémoire, sinon comment fabriquer la république métissée issue du monde entier qui est notre destin ?

Liberation.fr

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