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MOHAND AKLI HADDADOU, ecrivain et specialite de la question berbere : « Tamazight est langue officielle dans les faits »

dimanche 14 juin 2009, , article écrit par L’Expression et publié par La rédaction


ohand Akli Haddadou a publié plus de dix livres depuis 1994. Des ouvrages qui ont trait, dans leur majorité, à la dimension berbère de la culture algérienne. Doctorat de 3e cycle de linguistique à l’université d’Aix (Marseille) en 1997 puis doctorat d’Etat en linguistique berbère en mai 2003, Mohand Akli Haddadou détient actuellement le grade de professeur.

Il encadre les thèses de magister et de doctorat. Dans cette interview, il s’agit d’un regard scientifique sur la langue et culture amazighes après les avancées politiques inédites enregistrées ces dernières années.

L’Expression : Avec le lancement de la chaîne publique de télévision amazighe, peut-on dire que le problème de tamazight est définitivement réglé en Algérie ?

Mohand Akli Haddadou : Au plan politique, oui. Il y a reconnaissance du fait sociologique amazigh. Il y a un certain nombre d’années, on niait le fait sociologique berbère. On avait même dit qu’il s’agissait d’une invention des gens qui en voulaient à notre pays. En Algérie, tamazight est constitutionnalisée comme langue nationale. Dans l’histoire, il n’y a jamais eu reconnaissance officielle de tamazight même du temps de la Numidie. A l’époque, c’était le punique et le latin qui servaient de langues reconnues. L’avancée de tamazight est donc quelque chose d’extraordinaire. C’est un tabou qui est cassé définitivement et un choc dans ce qui est appelé le monde arabe. Il n’y a que l’Irak qui reconnaisse une langue autre que l’arabe dans la Constitution. On cite souvent le Maroc comme exemple de libéralisme linguistique. Or, c’est absolument faux ! L’Algérie a pris une grande avance dans ce domaine.

Comment expliquez-vous l’indifférence relative avec laquelle ont été accueillis les acquis de tamazight, particulièrement la reconnaissance de la langue dans la Constitution et le lancement d’une chaîne de télévision ?

Je ne vois pas d’indifférence. Au contraire, il y a une certaine satisfaction puisqu’un certain nombre de revendications (l’école, la chaîne de télévision et la constitutionnalisation) ont été totalement prises en charge. Il y a des gens qui te diront même qu’avec ces mesures, tamazight est langue officielle dans les faits parce que l’école est le représentant de cette officialité.
La télévision aussi, l’école et les médias lourds font partie des appareils idéologiques de l’Etat. Quand l’Etat introduit tamazight dans les médias lourds et à l’école, cela a valeur d’officialité pour lui. Elle n’est pas officielle dans la Constitution mais tamazight l’est de fait. Il ne faut pas oublier, par exemple, que tamazight sera obligatoire au baccalauréat et à compter de 2010. Ce sont des acquis qui vont évoluer inéluctablement vers l’officialisation. Mais en attendant, il faudrait d’abord aménager la langue amazighe.

L’aménagement de tamazight est un chantier immense et compliqué, nécessitant de gros moyens. C’est un travail de longue haleine n’est-ce pas ?

L’aménagement d’une langue se présente sous deux aspects. D’abord le statut qui est aujourd’hui un fait. Tamazight est reconnue comme langue nationale. Elle est enseignée et présente dans la communication moderne.
Cet ensemble de mesures fait partie de l’officialisation de la langue. Le deuxième point est inhérent à l’aménagement du corpus. Il faudrait préparer la langue à exprimer la réalité du monde dans sa modernité et à faire de tamazight une langue de communication quotidienne, scientifique et professionnelle.

Cette mission n’incombe pas désormais aux politiques mais aux spécialistes...
Bien entendu. C’est un travail qui revient aux spécialistes. Je pense que l’aménagement du statut étant fait, il s’agit seulement de généraliser l’utilisation de la langue. Pour ce travail, une académie s’impose.

Le président de la République s’est engagé lors de sa campagne électorale à la créer. Quelles seront ses missions concrètes ?
Une académie est surtout un organisme scientifique chargé de l’étude, de la rénovation et du développement de la langue. Elle est chargée de l’aménagement linguistique de la langue, en fixant des normes, au plan de l’écriture et de la grammaire en enregistrant les lexiques disponibles, en entérinant l’usage des néologismes, en rédigeant des grammaires et des dictionnaires. Dans les milieux scientifiques et pédagogiques, la norme a plutôt mauvaise presse, à cause de ses aspects répressifs (se conformer au bon usage, code de règles à ne pas transgresser) dans le cas du berbère, il s’agira avant tout de fixer les structures communes pour stabiliser la morphologie, la syntaxe et le lexique, aujourd’hui dispersés, même à l’intérieur de chaque dialecte.

Mais la langue berbère n’a pas beaucoup de spécialistes...
C’est vrai, il n’y a pas beaucoup de spécialistes en la matière, c’est pourquoi, il est bon que la future académie réunisse les berbérisants algériens encore en poste au pays. Il y va de la réussite de l’entreprise, mais aussi de sa crédibilité sur le plan national et international.
Comme pour toutes les langues émergeantes, il y a de nombreux problèmes, il faut faire des enquêtes sur la langue à travers un territoire très vaste, concevoir des dictionnaires et des glossaires, répondre à des besoins ponctuels en matière de terminologie scolaire et autres, etc. Il y a aussi le problème de l’écriture. Personnellement, nous sommes opposés à une nouvelle forme de l’écriture et à l’affrontement de positions inconciliables, qui font perdre du temps et qui empêchent le berbère d’avancer. Une solution intermédiaire, qui ne lèse aucune partie pouvait être trouvée. Il y a des chances, quand c’est des scientifiques, des spécialistes du domaine qui proposent des solutions, qu’elles soient acceptées par la communauté nationale. Les futurs académiciens ne doivent pas travailler en vase clos : ils doivent avoir une autre ouverture sur les autres langues, notamment la langue arabe, non seulement perce que l’arabe a été une source d’inspiration par l’emprunt et le calque linguistique du berbère, mais aussi parce que l’expérience d’aménagement de la langue arabe en Orient, est vieille de plus de 150 ans et elle est très enrichissante.

Il n’en demeure pas moins que concernant les caractères de transcription de la langue amazighe, la bataille sera sans doute serrée. Le choix des caractères de transcription d’une langue obéit-il à des considérations politiques ou bien est-il la mission des scientifiques ?
Au plan scientifique, on peut transcrire une langue dans n’importe quels caractères. Par exemple, le maltais, qui est une langue synthétique avec 90% d’arabe, mélangé de mots latins, est transcrit en caractère latins. Alors que les caractères de transcription naturels du maltais sont les caractères arabes. Un autre exemple : l’iranien est une langue indo-européenne. Il est très éloigné de l’arabe. Pourtant, il est transcrit au Moyen âge des textes arabes en caractères hébraïques. Ce n’est pas un problème. Une académie peut proposer n’importe quel système d’écriture.

Mais quels seraient les critères qui permettent d’établir ce choix ?
Un scientifique ne peut pas trancher ; les trois systèmes d’écritures (tifinagh, latin et arabe) se justifient. Le tifinagh revêt un cachet symbolique, bien que tous ses caractères ne transcrivent pas tamazight. Le « H » entre autres, n’existe pas en tifinagh. Par l’arabe, il faut rappeler qu’il y a eu des transcriptions berbères au moyen âge avec les caractères arabes ou encore un certain nombre de textes ibadites. Pour l’arabe aussi, il faut modifier des caractères pour transcrire tamazight. Quant au latin, il s’agit de caractères universels. Personnellement, j’opterai pour la polygraphie.
C’est-à-dire pour l’usage des trois systèmes dans des éditions précises. Par exemple, le tifinagh pourrait être utilisé dans les titres et décorations etc. Le latin et l’arabe on peut les utiliser dans la presse et à l’école. Mais tant qu’il y a des raisons de conflit, il vaut mieux éviter la guerre de l’écriture, car elle paralyse l’avancée de la langue. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un choix de société. Le spécialiste n’a pas à imposer. C’est à l’utilisateur de décider.

Le deuxième grand chantier qui attend tamazight, c’est le processus de standardisation des différents parlers. Etes-vous pour l’unification des dialectes qui permettent d’aboutir à un tamazight unique et compris par tous ?

Il faut aller vers une unification des parlers par convergence. C’est-à-dire, une unification qui se fera naturellement. Le processus d’unification des différents dialectes a déjà commencé avec l’introduction des terminologies modernes, qu’on retrouve, notamment dans la presse. Il ne faut pas oublier aussi qu’il existe des emprunts (arabe et français) qui sont communs ainsi que les termes relatifs à la religion.
L’encouragement de l’usage des termes berbères communs est une des solutions. Par exemple, le mot « taddart » existe dans tous les dialectes. Dans un récent travail de recherche, j’ai recensé pas moins de 1 023 racines communes pour les différents dialectes du berbère. Chaque racine peut donner jusqu’à 20 mots. L’effort doit être consenti dans le sens de l’harmonisation du vocabulaire courant. C’est ainsi que l’intercompréhension peut-être acquise.

Il y a un problème : certains dialectes berbères sont plus étudiés que d’autres. Y avait-il à l’origine un déséquilibre ?

Certes, pour des raisons historiques ou sociologiques, certains dialectes sont plus étudiés. Le rôle d’une académie sera aussi d’oeuvrer à la création de départements dans toutes les universités algériennes. Chaque dialecte a le droit d’être représenté et défendu.

Pour vous, tout ce chantier nécessitera combien de temps approximativement ?

En moyenne, une dizaine d’années, à une condition : que les moyens financiers soient mis à la disposition des chercheurs. Le processus de standardisation ne doit pas être artificiel. Un temps minimum est indispensable pour la réunion d’un certain nombre de conditions pour la vérification.

Revenons, si vous permettez, à la chaîne de télévision amazighe. Cette dernière diffuse des programmes dans tous les dialectes. En sachant que l’intercompréhension n’existe pas entre les différents parlers berbères, le téléspectateur ne risque-t-il pas de s’ennuyer ?

Au plan politique, c’est correct et logique de représenter tous les dialectes. Mais il faudra aussi prévoir des émissions où seront utilisés plusieurs dialectes en même temps, en insistant sur ce qui est commun. A la Chaîne II de la Radio nationale, cette expérience existe à travers l’émission hebdomadaire animée par Zira. Ces émissions de télévision doivent aussi être conseillées par des spécialistes de la communication pour en faire une véritable tribune de standardisation. Les variations phonétiques et sémantiques doivent aussi être traduites entre le chaoui, le kabyle, le chenoui, le mozabite, le targui...

Une dernière question : le nombre de berbérophones a sans doute diminué de manière considérable ce dernier siècle. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Effectivement. Une enquête réalisée en 1900 par Edouard Doutté et Felix Gautier, ayant pour intitulé Dispersion de la langue berbère en Algérie, est édifiante à ce sujet. Par exemple, à l’époque, Blida était berbérophone à 100%, les ksour oranais étaient berbérophones en grande partie. Le même constat a été fait dans plusieurs autres wilayas du pays. Il faut rappeler que l’Unesco a classé le berbère parmi les langues menacées de disparition. Par exemple, en Mauritanie, le berbère a presque disparu. Il y a cinquante ans, le sud de la Mauritanie était en grande partie berbérophone. La berbérophonie connaît un vrai dynamisme, d’abord en Algérie avec 30% de berbérophones ainsi qu’au Maroc.


L’Expression

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